Introduction
La logistique maritime est actuellement en pleine évolution. Les chaînes logistiques se transforment profondément, marquées par l’intégration verticale des compagnies maritimes et la montée en puissance des acteurs financiers. Ces changements ont redéfini le secteur, tout en exposant ses vulnérabilités. Par exemple, la pandémie de COVID-19 a exacerbé les goulets d’étranglement, causant des retards massifs et une flambée des tarifs de fret. Ces défis, combinés aux effets de la guerre en Ukraine, ont encore fragilisé la résilience des chaînes d’approvisionnement en Europe et au-delà.
Dans cet article, nous examinons les défis majeurs auxquels est confrontée la logistique maritime et explorons comment la réglementation pourrait améliorer son efficacité et sa résilience.
Économies d’échelle et impact sur les ports
Au cours de la dernière décennie, les compagnies maritimes ont cherché à maximiser les économies d’échelle en construisant des navires de plus en plus grands, atteignant 24 000 EVP (équivalents vingt pieds). Par exemple, ces navires permettent de réduire le coût de transport par conteneur, mais nécessitent des investissements massifs dans les infrastructures portuaires, pouvant atteindre plusieurs centaines de millions d’euros pour adapter les quais, les grues, et les équipements de manutention. Cette augmentation de la taille des navires a complexifié la logistique, exigeant des ports qu’ils s’adaptent en construisant de nouveaux méga-terminaux. Toutefois, seules quelques infrastructures européennes, telles que Rotterdam, Anvers, ou Piraeus, ont pu répondre à ces nouvelles exigences.
Cette évolution n’a pas été accompagnée d’une augmentation équivalente de la capacité des infrastructures terrestres, telles que les routes et les chemins de fer, provoquant ainsi des goulets d’étranglement importants. Le décalage entre la taille des navires et la capacité des infrastructures terrestres est devenu une source majeure de contraintes pour l’industrie.
Concentration du marché et pouvoir des grands acteurs
Les économies d’échelle ont favorisé la création de grands groupes logistiques dotés d’une forte influence sur le marché. Cependant, cette concentration comporte également des risques importants pour les petites entreprises, qui peinent à rivaliser avec ces grands acteurs. Cela peut limiter la diversité du marché et restreindre l’innovation, car les petits acteurs ont souvent moins de moyens pour s’adapter aux exigences imposées par les grands groupes. Aujourd’hui, les cinq plus grands transporteurs mondiaux contrôlent environ 65 % du marché, leur conférant un pouvoir de négociation considérable vis-à-vis des ports et des autorités locales. Les opérateurs de terminaux de conteneurs ne sont pas en reste : les cinq premiers gèrent environ 30 % du trafic mondial.
Cette concentration donne un avantage stratégique aux grandes entreprises privées, ce qui pose un défi aux autorités portuaires et aux régulateurs publics. Les décisions stratégiques sur le développement des ports sont de plus en plus influencées par ces acteurs privés, risquant de marginaliser les autorités publiques.
Concurrence accrue pour les hinterlands contestables
La standardisation des unités de transport et la mondialisation ont redéfini les hinterlands (zones d’influence logistique des ports). Pour les ports moins bien connectés, cela a entraîné des défis importants pour rester compétitifs. Beaucoup d’entre eux tentent de s’adapter en investissant dans des infrastructures plus efficaces ou en se spécialisant dans des niches spécifiques de fret, afin de compenser leur désavantage en termes de connectivité. Désormais, les ports se disputent des hinterlands contestables, modifiant profondément la dynamique de la concurrence. Ceux qui disposent des meilleures connexions terrestres (routières et ferroviaires) captent le fret autrefois réservé à des ports spécifiques, modifiant ainsi la géographie de la compétitivité portuaire.
Défis de la réglementation économique
Face à ces défis, la réglementation économique nécessite une révision en profondeur. Prenons l’exemple du Canada, où la réglementation portuaire a été réformée pour permettre une plus grande autonomie aux autorités locales, tout en introduisant des mécanismes de transparence et de consultation publique. Cette réforme a permis d’améliorer l’efficacité des opérations et d’attirer des investissements privés, tout en garantissant une concurrence loyale. Prenons l’exemple de l’Italie, où l’Autorité de Régulation des Transports (ART) est chargée de superviser l’accès aux infrastructures de manière équitable. Cela est crucial, notamment dans des contextes de monopoles naturels, comme les terminaux portuaires, où la sélection des concessionnaires doit être faite de manière juste et transparente.
Cependant, l’efficacité de ces mesures varie selon les secteurs. Dans certains ports, les autorités locales appliquent des critères de sélection hétérogènes, ce qui crée des barrières à l’entrée pour les nouveaux acteurs et peut conduire à des blocages du marché.
Le transport ferroviaire comme levier de développement des ports
Le transport ferroviaire est souvent considéré comme un outil clé pour étendre l’influence des ports vers l’intérieur des terres. Par exemple, le corridor ferroviaire du port de Rotterdam, connu sous le nom de Betuwe Route, a considérablement contribué au développement du port en améliorant l’efficacité des liaisons entre le port et l’Allemagne. Cette infrastructure a permis de réduire les coûts de transport et d’augmenter la compétitivité du port sur le marché européen. Bien que le rail ne représente qu’une fraction du transport total, il est essentiel pour réduire les coûts logistiques et étendre les corridors de fret. Toutefois, il se heurte à des problèmes d’infrastructures insuffisantes et des coûts élevés, qui le rendent moins compétitif que le transport routier.
Pour améliorer ce secteur, des investissements substantiels dans les infrastructures ferroviaires sont nécessaires, ainsi que l’introduction de mesures incitatives pour rendre ce mode de transport plus attractif et compétitif.
Conclusion
La logistique maritime et terrestre fait face à des défis considérables. Les économies d’échelle ont permis l’émergence de puissants acteurs capables d’influencer les chaînes d’approvisionnement mondiales, mais elles ont également révélé des faiblesses structurelles dans les infrastructures terrestres. La réglementation doit jouer un rôle central pour équilibrer les forces entre acteurs publics et privés, et garantir une concurrence équitable.
Pour construire une logistique durable et résiliente, il est impératif de repenser les modèles économiques, d’encourager l’investissement dans des infrastructures plus efficaces, et de promouvoir une plus grande transparence et équité dans l’accès aux ressources. Ce n’est qu’à ces conditions que la logistique maritime pourra relever les défis de demain et continuer à soutenir la croissance économique mondiale.