Cette semaine, une grève massive des dockers a frappé le transport maritime de la côte Est aux côtes du Golfe des États-Unis. Si le mouvement a pris fin ce jeudi après trois jours de perturbations, la véritable bataille, elle, est loin d’être terminée. La question centrale ? L’automatisation. Ce phénomène technologique, qui s’étend à travers les industries du monde entier, divise fortement. Les entreprises la voient comme un vecteur d’efficacité et de profits, tandis que les syndicats y perçoivent une menace directe pour les emplois. Alors, comment résoudre ce bras de fer ?
En Amérique du Nord, les dockers sont en première ligne de cette bataille. Mais en Europe, les travailleurs portuaires ont déjà trouvé des solutions pour faire face à cette transformation inévitable. Alors que les syndicats nord-américains luttent pour protéger leurs emplois, ils pourraient bien trouver de l’inspiration du côté des ports européens.
Accord temporaire, enjeu permanent
Après trois jours de blocage des ports, allant du Maine au Texas, près de 45 000 dockers membres du syndicat International Longshoremen’s Association (ILA) ont mis fin à leur grève. L’accord trouvé ? Un ajustement des salaires et l’extension de leur contrat jusqu’en janvier 2025. Mais en coulisses, une problématique continue de miner les discussions : l’automatisation des ports.
Harold Daggett, leader de l’ILA, ne mâche pas ses mots. Devant une foule de travailleurs rassemblés à Elizabeth, New Jersey, il affirme : « Nous devons continuer à lutter contre l’automatisation et la semi-automatisation ». Des pancartes affichent des messages sans équivoque :
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Les dockers de l’ILA dénoncent notamment l’utilisation d’un portail automatisé dans un port de Mobile, Alabama, géré par APM Terminals, une société néerlandaise. Ce portail digital scanne les camions qui entrent et sortent du port sans intervention humaine, violant ainsi, selon les syndicats, leur contrat. APM Terminals affirme que cette technologie est en place depuis 2008 et qu’elle respecte toutes les règles contractuelles. Mais pour les syndicats, l’enjeu est ailleurs : l’automatisation réduit les besoins en main-d’œuvre, et donc les emplois.
Automatisation : le spectre d’une crise mondiale
Cette lutte contre l’automatisation ne se limite pas aux États-Unis. Au Canada, des grèves similaires ont agité les ports de Vancouver. En juin dernier, 99 % des travailleurs syndiqués du International Longshore and Warehouse Union (ILWU) ont rejeté l’offre finale de l’Association des employeurs maritimes de la Colombie-Britannique (BCMEA). Leur principal grief ? L’introduction imminente d’automatisation dans un terminal ferroviaire stratégique.
Les travailleurs portuaires canadiens partagent les mêmes inquiétudes que leurs homologues américains. « L’automatisation supprime des emplois, et cela a des conséquences terribles sur nos familles et nos communautés », a déclaré un porte-parole de l’ILWU. L’an dernier, plus de 7 300 dockers avaient déjà cessé le travail à Vancouver, pour protester contre l’automatisation des ports et demander à être formés à la maintenance des nouvelles machines.
Sur la côte Ouest des États-Unis, des ports majeurs comme Los Angeles et Oakland ont eux aussi été paralysés par des grèves contre l’automatisation. Une étude menée par l’ILWU a révélé que le terminal de Long Beach, désormais automatisé, aurait créé 392 emplois supplémentaires s’il était resté manuel. En revanche, une analyse commandée par la Pacific Maritime Association (PMA) affirme que le nombre d’heures payées dans les ports de Los Angeles a bondi de 31,5 % depuis l’automatisation, sans toutefois fournir de données précises pour Long Beach.
La situation a poussé les syndicats et les employeurs à un compromis : dans le nouveau contrat de six ans signé entre l’ILWU et la PMA, un minimum de personnel est désormais garanti dans les terminaux qui introduisent des équipements automatisés. Les deux parties se sont également engagées à discuter des futures avancées technologiques.
L’Europe, un exemple à suivre ?
Alors que l’automatisation des ports s’étend en Amérique du Nord, l’Europe pourrait bien offrir une lueur d’espoir. Le port de Rotterdam a ouvert en 1993 le premier terminal de conteneurs entièrement automatisé au monde. Mais contrairement aux dockers américains et canadiens, les travailleurs portuaires européens ont réussi à négocier des protections solides contre la menace de l’automatisation.
qui représente les dockers des trois principaux ports néerlandais, dont Rotterdam. Ce syndicat, fort de 6 000 membres, a intégré cette protection dans ses contrats depuis des années.
Mais même en Europe, le débat sur l’automatisation continue d’évoluer. Les négociations actuelles se concentrent sur la retraite anticipée, car de nombreux postes non automatisés sont physiquement éprouvants, et les travailleurs ne peuvent pas continuer jusqu’à l’âge de 67 ans.
L’automatisation, une technologie acceptée… jusqu’à un certain point
Si l’automatisation est souvent perçue comme une menace, tous les syndicats ne s’y opposent pas entièrement. Des représentants syndicaux des deux côtés de l’Atlantique reconnaissent que la technologie peut améliorer l’efficacité des opérations portuaires. « Nous ne sommes pas contre les nouvelles technologies qui rendent notre travail plus efficace », affirme Shaheem Smith, un opérateur de grue dans le New Jersey. « Mais quand on commence à remplacer des travailleurs par des machines, là, c’est un vrai problème. »
Le défi est donc de trouver un équilibre entre innovation technologique et préservation des emplois. Les négociations entre les syndicats et les opérateurs portuaires sont loin d’être terminées, mais un consensus semble se dégager : une certaine dose d’automatisation est tolérable, tant qu’elle ne remplace pas complètement la main-d’œuvre humaine.
Conclusion : un secteur en pleine mutation
Le secteur maritime nord-américain est à un tournant. D’un côté, les entreprises voient dans l’automatisation une opportunité d’augmenter la productivité et les profits. De l’autre, les syndicats redoutent une hécatombe d’emplois. Alors que les négociations se poursuivent, la clé sera de trouver un équilibre où la technologie et l’emploi pourront coexister. Et si l’Europe montre qu’un compromis est possible, il reste à voir si ce modèle peut être adapté aux réalités nord-américaines. Quoi qu’il en soit, les travailleurs portuaires ne comptent pas abandonner leur combat de sitôt.